On ne pensait plus Alfa Romeo capable de relever de tels défis.
La 164 Q4 offre la technologie avancée des meilleures berlines allemandes avec le charme et la personnalité incomparables des italiennes...
I suffit de pénétrer dans le formidable musée d'Arese, dans l'antre même de l'usine Alfa Romeo à quelques encablures de la capitale lombarde, pour mesurer combien le passé de la firme italienne est riche et coloré. Giulia, Giulietta, Disco Volante, Alfetta de Grand Prix, Tubolare, prototypes de Salon et bien d'autres, sommeillent dans un état impeccable. Rien que des merveilles, témoins d'un savoir-faire, d'un tempérament, d'une finesse mécanique incomparables qui ont fait toute la réputation sportive de la marque. On en frissonne de plaisir... La toute nouvelle 164 Q4, qui arrive sur notre marché, est enfin de cette trempe. On peut le crier haut et fort ! Elle a la subtilité mécanique, le caractère très affirmé, le tempérament et la personnalité d'une authentique Alfa Romeo. Quand son heure sera passée (souhaitons lui le plus tard possible...), elle pourra rejoindre ses aïeules la tête haute.
Une Alfa porteuse d'image
Qui y a-t-il donc de si miraculeux sur cette Alfa Romeo 164 Q4 ? Un superbe V6 multisoupape de 230 ch tout d'abord, mais surtout une transmission intégrale à gestion électronique qui métamorphose son comportement et son caractère. De passive traction avant dont seuls quelques irréductibles pouvaient réellement apprécier la saveur, voici que la 164 se mue en fauve racé et terriblement efficace. Or, jusqu'à présent, l'efficacité n'était pas le fort de la berline Alfa dont l'exploita-tion de la puissance se faisait plutôt dans le désordre faute d'un train avant très rigoureux. En s'attaquant à l'élite des limousines qui puisent leur force dans une redoutable transmission intégrale, la 164 Q4 demeure un exercice de style. Mais un exercice de style ô combien porteur d'image ; en espérant qu'il ne sera pas sans lendemain. Sur le marché, les rivales directes de l'Alfa 164 Q4 ont pour nom Renault Safrane Biturbo et bien évidemment Audi S4, dans sa configuration Turbo, à la puissance comparable. Rien que du beau monde, et pas particulièrement à la portée de toute les bourses : 385 000 F ou 425 000 F pour une Safrane Biturbo, plus puissante seulement sur les dépliants publicitaires, ou encore 327 000 F pour l'Audi S4 Turbo. Initialement, le prix annoncé pour la 164 Q4 était comparable à celui de l'Audi mais, en France du moins, Alfa Romeo a décidé de frapper un grand coup. La Q4 est proposée à 278 000 F tout compris ! Soit seulement 28 000 F de plus qu'une 164 Super 24V à la moindre puissance (20 ch de moins...), sans transmission intégrale bien évidemment, sans boîte de vitesses à 6 rapports mais aussi sans sellerie en cuir, sans sièges Recaro (spécifiques au marché français) aux réglages électriques et à mémorisation de la position de conduite, sans suspension à pilotage électronique, sans airbag conducteur, autoradio ou encore peinture métallisée.
Un vrai fauve sous le capot
Entre cette belle italienne et la sérieuse allemande, il y a égalité de puissance. A ceci près que les 230 ch de l'Alfa sont obtenus à travers un splendide V6 multisoupape de 3 litres de cylindrée alors que la même puissance sur l'Audi S4 est obtenue avec un 5 cylindres multisoupape et suralimenté de 2,2 litres seulement. Deux styles, deux genres... La différence se fait principalement dans les régimes d'utilisation une fois encore. Le V6 Alfa est un vrai fauve qui se complaît dans des régimes de rotation généreux. Il gronde, chante, hurle son plaisir et communique toute sa rage. Derrière le volant on n'hésite pas. On l'exploite pleinement, on vient sur chacun des six rapports de la boîte Getrag taquiner le rupteur afin d'en avoir plein les oreilles. Le plaisir est intense et si rare de nos jours. Face à ce tempétueux atmosphérique, le 5 cylindres Audi apparaît beaucoup plus sage, presque trop silencieux. Mais les impressions sont trompeuses. Sa vigueur est tout à fait exceptionnelle. Par exemple, ses 230 ch ne sont obtenus qu'à 5 900 tr/mn contre 6 300 tr/mn au moteur Alfa Romeo mais surtout son couple maximum, totalement démentiel, se chiffre à 38,7 mkg à 2 100 tr/mn contre 29 mkg à 5 000 tr/mn pour le moteur transalpin. Il n'y a pas photo à l'arrivée ! Dans un cas comme dans l'autre, cette puissance et ce couple sont distribués vers les quatre roues motrices au travers d'une boîte mécanique à six rapports. Sur l'Audi, l'élément est connu si ce n'est qu'à propos de la S4 Turbo et contrairement à la S4 V8 que nous avions confrontée il y a peu à la Safrane Biturbo, cette boîte est proposée en option (4 000 F) et vous vaut de franchir une tranche fiscale : 13 CV contre 11 CV à la boîte 5. La débilité de la fiscalité française, est sans limite et la 164 Q4 confirme la règle puisque pour la même puissance globale, elle s'affiche à 17 CV ! Un sixième rapport et un turbocompresseur ne sont simplement pas prévus dans la formule... L'Audi comme l'Alfa proposent une véritable boîte à six rapports où la sixième n'est pas un rapport surmultiplié mais équivaut globalement à la cinquième d'une boîte 5 conventionnelle. C'est donc tout l'éta-gement qui a été redéfini avec une philosophie nettement plus courte sur l'Alfa étudiée en très étroite collaboration avec l'allemand Getrag. Sa manipulation, où rapidité et précision se mêlent, est une vraie merveille. En terme de traction intégrale, Audi possède un savoir-faire hors du commun. Depuis ses débuts qui remontent maintenant à une quinzaine d'années, la transmission Audi a sensiblement évolué.
La répartition de couple entre les deux essieux est toujours équitable (50/50 %) mais le différentiel central, jadis plus conventionnel avec un blocage manuel, a cédé la place à un différentiel Torsen qui, en fonction de l'adhérence rencontrée, peut transférer une partie du couple d'un essieu sur l'autre. A l'arrière, le blocage du différentiel est possible en deçà de 40 km/h. La chaîne cinématique de l'Alfa, définie par l'Autrichien Steyr-Puch, est infiniment plus complexe et repose sur une gestion électronique pilotant en permanence un différentiel épicycloïdal couplé à un viscocoupleur. On ne peut avancer une distribution de couple entre les essieux puisque cette dernière varie à chaque instant. Dans les cas extrêmes, caricaturaux, on peut très bien se retrouver en traction ou en... propulsion. Cette centrale de traction est couplée à celles de l'ABS et du Motronic gérant le moteur et au total, non moins de huit sources d'information (régime de chaque roue, régime moteur, charge du moteur, etc.) gèrent la motricité de l'Alfa. Le système avait été ébauché sur le splendide prototype Protéo. Jamais Alfa Romeo ne s'était aventuré si loin dans les technologies avancées. En fait, cette 164 Q4 est totalement nouvelle, jusqu'à la structure qui a été profondément reconsidérée et il suffit de rentrer dans le vif du sujet pour mesurer toute cette évolution. Son caractère sportif est indéniable mais le voilà doublé d'une efficacité redoutable. Au premier abord, la vigueur du moteur suralimenté de l'Audi semble faire la différence malgré le côté très enjôleur du V6 Alfa. Mais ce dernier, associé à cette boîte 6 à l'étage-ment parfait, trompe son monde. Notre Alfa 164 Q4 s'est montrée très performante en devançant très légèrement l'allemande en accélérations et ne mettant que faiblement un genou à terre en reprise. Mais là, on ne connaît aucun atmosphérique de puissance analogue qui tienne tête à un moteur turbo.
Un atmo qui égale un turbo
Pour parler chiffres, nous avons très facilement atteint 234 km/h avec l'Alfa pour 236 km/h avec l'Audi. La différence est infime. Aux 400 et 1000 m départ arrêté, l'Alfa réalise respectivement 14"8 et 27"9 avec au passage 8"0 pour atteindre les 100 km/h chrono. Pour les mêmes performances, l'Audi réalise 15"0,28"0 et 8"1 ! Là encore, on ne peut parler d'écart significatif mais en fait le brio naturel du V6 transalpin fait toute la différence. Il s'avère rageur, léger, très à l'aise dans les hauts régimes. Le moteur Audi est très efficace mais pas aussi enjôleur à l'usage. Avantage Alfa donc sur cc point. En véritable sportive, elle s'affirme comme étant l'une des plus grisantes berlines du moment. Et grâce à l'étagement court et resserré de sa boîte, la 164 Q4 obtient également d'excellentes reprises. Sans pour autant faire jeu égal avec l'Audi sur les deux derniers rapports. Mais le résultat global de l'italienne demeure malgré tout élogieux dans la mesure où son brio tient autant à ses chronos qu'à son caractère généreux. Rares sont désormais les voitures qui procurent un tel plaisir mécanique ; que l'on pouvait facilement le deviner : le V6 Alfa est l'un des plus beaux moteurs actuellement en production. Mais pour ne rien vous cacher, nous l'attendions au détour en terme de comportement routier et même d'agrément à ce niveau. Il ne fait aucun doute que sa définition est infiniment plus sportive que celle de l'Audi. D'ailleurs, de série sur la S4 4.2 à moteur V8, le châssis "Sport" demeure une option sur la S4 Turbo et elle n'équipait pas notre voiture d'essai. Plus haute sur ses roues (de 25 mm), la suspension est très souple et pompe très facilement. L'Alfa est beaucoup plus ferme, accuse moins de roulis. L'amortissement piloté est assez peu convaincant par contre. Du moins en mode "Sport" où la suspension se trouve complètement verrouillée. En fait, après avoir fait joujou un moment avec le contacteur, tout notre essai a été effectué en mode automatique.
Imperturbables sous la pluie
Si la conduite de l'Audi est très feutrée, très assistée, le contact que l'on a avec l'Alfa est plus mécanique. Ce qui n'est pas pour nous déplaire. La direction remonte beaucoup d'informations mais toutes les réactions de couple qui altéraient le comportement des versions traction avant ont ici complètement disparu. A grande vitesse, sur autoroute, quelques vibrations nous rappellent que les roues arrière sont également motrices. Mais c'est surtout par leur stabilité imperturbable que cette Alfa et cette Audi s'avèrent exceptionnelles. A flanc de montagne, notre autoroute serpente de grande courbe en grande courbe et l'aiguille du compteur est rarement en dessous de 200 km/h. Et pourtant, il tombe des trombes d'eau. L'Alfa 164 Q4 et l'Audi S4 se moquent des flaques, des coulées d'eau. Dans ces conditions délicates, on mesure pleinement tout l'intérêt d'une transmission intégrale bien pensée. Pourtant, quelques instants plus tard, nous allions les maudire. Tant l'Alfa que l'Audi. Nous avons quitté l'autoroute et nous voilà à l'assaut d'un col de notre belle Savoie. Peu à peu, la pluie s'épaissit pour devenir de la neige. Mouillant la route dans un premier temps mais très vite, le décor (et la chaussée...) se pare d'un épais manteau blanc. Super ! Idéal pour bien cerner le comportement de la transmission Alfa. En fait, sa compréhension n'est pas évidente. Il nous a fallu quelques kilomètres pour trouver la solution à un sous-virage chronique. Et rien dans le manuel d'utilisation pour vous mettre sur la voie. Alors on tâtonne, au volant, à l'accélérateur. En fait, sur un tel terrain glissant, l'Alfa se conduit presque plus avec le pied droit qu'avec les mains au volant. Là où la sagesse voudrait que l'on ralentisse pour braquer, c'est un coup d'accélérateur franc et généreux qui viendra placer la voiture dans une attitude très neutre ou même légèrement sur-vireuse. De courbe en courbe, on peut ne conduire l'Alfa qu'au travers de l'accélérateur avec seulement de très légères corrections à la direction. Le mode d'emploi n'est pas facile à trouver mais une fois assimilé, c'est le pied intégral !
Les méfaits d'un poids trop élevé
D'un bord sur l'autre, l'Alfa se propulse de dérive en dérive. Et l'Audi S4 Turbo dans tout cela ? Son efficacité n'est pas en reste d'autant que ses suspensions plus souples ont tendance à mieux s'accommoder de ce genre de terrain ; ses réactions sont plus faciles à cerner. L'équilibre de l'Audi est plus constant, plus accessible peut être au commun des conducteurs. Sa conduite est plus naturelle. Conduite finement, elle sousvire et conduite plus en force, elle survire progressivement. La différence avec l'Alfa est que l'essentiel du travail se fait au volant cette fois. Sur un tel terrain, la conduite d'une traction intégrale est fort grisante. En montée du moins. Le col passé, l'euphorie tourne au cauchemar. Les quatre roues motrices ne servent plus à rien et nos montures s'avèrent vite totalement incontrôlables. Un vrai cauchemar on vous dit ! Affreux, affreux... Passée une poignée de kilomètres/heure, elles se transforment en luges et l'on se met à tout maudire en bloc. L'ABS qui fait que l'on ne peut pas ralentir au point de devenir dangereux même, les pneumatiques trop larges et à profil bas, la traction intégrale qui vous porte le poids de ces limousines à un total peu avouable : 1,7 tonne. On n'a plus qu'une envie, laisser sur place nos montures et finir à pied. Comme quoi, sans "chaussettes" adaptées à la circonstance, une quatre roues motrices n'est pas la panacée et s'avère pratiquement aussi désemparée que la plus banale des automobiles. Ce mauvais moment passé, il faut louer l'efficacité de telles berlines aux performances que bien des GT pourraient envier. Le tempérament de l'Alfa est plus affirmé. Cela tient à la définition même du châssis, plus rigide sur ses suspensions. L'Audi S4 Turbo est plus placide, plus passive. La version suralimenté n'a pas la même saveur que la S4 V8. Pas la même efficacité non plus du fait de l'absence de châssis sport. Par rapport à la S4 V8, l'écart de prix est important mais globalement, à la conduite, la différence est très nette. D'ailleurs, par rapport à l'Alfa, l'Audi S4 ne prend pas l'avantage. L'écart de prix est déjà important et si on met l'Audi au même niveau d'équipements, c'est un gouffre qui se creuse : pratiquement 100 000 F. Mais ce n'est pas cette vue purement matérielle qui nous fait préférer l'italienne à l'allemande. L'élégance de son style, la race de sa mécanique, ses performances et son tempérament très affirmé suffisent. Des Alfa comme ça, dignes des plus belles légendes de la marque, on en redemande !
Par Alain Bernardet & photos Bernard Asset